I
La porte de fer percée d’un judas aux allures de monocle s’ouvrit et l’on poussa à l’intérieur une petite cage à laquelle était attachée une chaîne. La porte de la cage se releva, un gros rat gris-brun en jaillit tandis que la porte de fer se refermait silencieusement.
La pièce, dépourvue de fenêtre, mesurait deux mètres cinquante sur quatre et ses murs de plâtre blanc étaient nus. Une caméra de télévision en circuit fermé était perchée sur un support, dans l’angle qu’un des murs faisait avec le plafond. Elle était braquée sur les seuls meubles de la pièce : un lit, une chaise, une armoire métallique, un lit sur lequel un homme était étendu, les yeux clos, les bras le long du corps, la pointe des pieds tournée vers le plafond. Mince, les épaules larges et le ventre plat, il mesurait un mètre soixante-quinze et, malgré ses cinquante-quatre ans, il avait une chevelure brune où ne se voyait aucun fil d’argent. Il avait le front haut, des sourcils bruns broussailleux, une épaisse moustache d’officier, un menton rond creusé en son milieu d’une fossette. Son bras droit et sa jambe gauche étaient attachés par une chaîne aux montants métalliques du lit.
Le rat trottina autour de la pièce en reniflant le bas des murs puis grimpa le long d’un drap en s’aidant de ses griffes. Il approcha le museau du fer entourant la cheville gauche de l’homme et se mit à grignoter la crème épaisse dont le métal était recouvert.
Quand il eut englouti le fromage relevé de miettes de crabe, l’animal toucha plusieurs fois de son nez la jambe de l’homme comme s’il y cherchait encore de la nourriture. L’homme ne bougea pas, ses paupières restèrent baissées.
Le rat courut le long de la jambe du dormeur, s’arrêta sur son estomac puis se remit à avancer lentement, les narines palpitantes. Soudain il sauta vers le fromage mêlé de viande étalé sur le visage de l’homme mais tomba avant d’atteindre son objectif, roula sur le corps de l’homme et s’immobilisa près de son cou. La gueule ouverte du rongeur montrait des gencives sans dents.
L’homme posté derrière la porte pâlit, jura puis fit un signe à une silhouette se tenant au bout du couloir. Une infirmière vêtue d’une combinaison blanche, les mains gantées et la face couverte d’un masque de plongeur, se précipita vers lui.
— Allez chercher le rat ! ordonna-t-il.
L’infirmière lui jeta un regard puis entra dans la pièce. De ses mains gantées, elle souleva le rat mort, le plaça dans la cage, qu’elle emporta en sortant. L’homme ferma la porte, glissa la clef dans la poche de sa blouse blanche et dit :
— Portez-le au labo.
Il regarda ensuite dans la pièce, où le dormeur n’avait pas bougé. Il était cependant évident, pour l’observateur, que quelque chose en l’homme avait détecté le danger et pris des mesures appropriées. Et pourtant, c’était totalement impossible.